Quelle fracture sociale nous réserve l’intégration numérique en Haïti ?

Nous sommes parfois tentés de nous demander: qui fait quoi ? Une question simple, anodine, mais qui, parlant de technologie ou du numérique, revêt une importance majeure, voire incontournable. Incontournable en ce sens qu’elle jette les bases de toute réflexion utile et constructive. C’est d’ailleurs une approche fondamentale, d’autant que nous nous retrouvons face à une société en pleine décrépitude où chacun fait ce que bon lui semble, en fonction de ses intérêts personnels.

Haïti est l’un des rares pays où l’absence d’une vision claire pour l’intégration numérique fait effroyablement défaut. Une vision pour laquelle nous nous attelons à un plaidoyer sans relâche. Il ne s’agit pas pour nous de suivre un courant global sans en comprendre les enjeux, sinon de tirer la sonnette d’alarme sur une situation qui risque de se transformer en handicap majeur et dont les conséquences ne sont pas envisageables.

…il est incontournable de s’accorder sur une vision partagée traduisant exactement les desiderata de notre société.

Pour comprendre la portée de la question, il faut regarder autour de nous. Ici et ailleurs. Alors que les préalables fondamentaux ne sont pas encore au rendez-vous [électricité, accès à internet haut débit, couverture nationale 4G/5G, éducation pour tous…], du moins pour la grande majorité, nous assistons à une mouvance systématisée touchant différentes orientations du numérique. Les initiatives se multiplient, les ateliers et fora se tiennent un peu partout dans le pays, les jeunes sont de plus en plus touchés par la question. Evidemment, c’est un bon début. Mais, à quel prix ?

Le monde aujourd’hui se présente comme un village global. Quel que soit le domaine considéré, les coalitions, associations et structures transversales de management et d’intervention se forment, s’organisent et définissent des agenda communs de travail. Le secteur numérique ne fait pas exception. Cependant, nous peinons encore à placer Haïti sur l’échiquier international de l’intégration numérique. Cette démarche étant l’affaire de plusieurs acteurs, le Gouvernement, le secteur privé des affaires, les acteurs de la société civile, l’Université…, il est incontournable de s’accorder sur une vision partagée traduisant exactement les desiderata de notre société.

Ce que nous constatons est pour le moins déplorable: l’Etat qui devrait donner le ton et accompagner les acteurs dans le processus d’implémentation d’une politique effective, n’est point en mesure d’exprimer l’énoncé de cette politique. Du flou dans l’attribution des prérogatives des institutions clés (Primature, Ministère de la Culture et de la Communication, CONATEL, Commission d’innovation…) ou des actions [incompréhensibles] des leaders du secteur, une approche objective et articulée ne peux surgir. Il est donc à redouter que nous nous retrouvions en présence d’un clivage flagrant et irréversible au sein de cette même société, mettant en évidence un groupe minuscule éclairé, privilégié, à qui mieux mieux formé et informé des questions touchant le numérique, et d’une grande majorité totalement étrangère aux notions de technologie qui, par conséquent, avance vers une autre forme d’apatridie, le monde évoluant.

Aujourd’hui, la situation est telle que les passagers en première classe de l’avion ne se soucient point d’une bombe en classe économique. Si donc on souhaite une intégration effective du numérique au profit de l’ensemble de la communauté, il serait bien indiqué que les initiatives soient appropriées, que les séances de formation et d’information tiennent compte des jalons géostratégiques, socioculturels, linguistiques…, que les startups et investissements reflètent les besoins réels des populations et des institutions, et surtout que les acteurs soient animés d’une volonté réelle de sortir Haïti de cette calamiteuse situation.

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