Le défi de gouverner le cyberespace haïtien

Editorial de "Le National" en date du 31 août 2019

Le scandale des tweets attribués au premier ministre récemment nommé par Jovenel Moise, Fritz William Michel, servira à rappeler que les outils numériques sont loin d’être un jeu. Après avoir assisté ces dernières années à une intégration progressive des réseaux sociaux dans la communication politique, on s’attendait à une utilisation plus responsable des technologies de l’information et de la communication par des représentants de l’Etat. Mais l’amateurisme semble avoir, de nouveau, pris le dessus.

La loi sur la signature électronique publiée le 11 avril 2017, en son article 1, énonce: « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane ». Cela revient à dire que, dans le champ de la communication publique, les déclarations faites sur Facebook, Twitter ou autres sont des prises de position qu’on ne peut pas ignorer au moindre changement d’humeur. Par conséquent, une figure politique ne devrait pas nier ses anciennes publications ni être accusée de changer d’identité numérique.

Les tweets où Fritz William Michel aurait invectivé l’opposition et insulté des journalistes sont si indignes de son rang qu’il s’est empressé d’affirmer qu’il n’était pas derrière ce compte qui portait son nom et sa photo. Toutefois, il se contente d’un simple démenti. C’est assez curieux que celui qui est appelé à diriger le prochain gouvernement ne juge pas nécessaire de porter plainte contre ceux qui, en usurpant son identité, l’auraient fait passer pour un vulgaire calomniateur et un bavard sans scrupule. Incohérence !

Déterminer la provenance d’un tweet est un exercice très simple pour les initiés. Mais aucune enquête officielle n’a été ouverte autour de ces publications embarrassantes. De toute façon, le scandale aurait été encore plus grave si on était parvenu à découvrir que le premier ministre nommé avait fait usage d’une fausse identité pour se soustraire aux conséquences de ses déclarations. Cette réputation de menteur allait peser lourd sur l’avenir politique du plus jeune premier ministre désigné.

En dépit des prémisses établies par la loi sur la signature électronique, la justice haïtienne ne dispose toujours pas d’unité spécialisée pour investiguer avec efficacité des exactions commises avec les appareils électroniques. Les récents développements de l’actualité nous portent à nous questionner de plus en plus sur les capacités opérationnelles de la « police scientifique ». Les législateurs tardent à voter le projet de loi sur la cybercriminalité. Entre-temps les arnaques, les incitations à la violence, les menaces et les faux de toutes sortes s’opèrent quotidiennement via les télécoms dans l’impunité la plus totale.

Les débats sur l’anonymat en ligne, source de nombreux délits, sont très animés dans des pays où l’exploitation des TIC est réglementée par des lois. Malgré tout, les solutions à appliquer ne sont pas toujours évidentes. Il faut donc définir en Haïti un mode de responsabilisation quant aux contenus transmis via les TIC. Pour y arriver, de nouvelles lois et une instance spécialisée doivent être créées. Hélas, on ne peut espérer grand-chose d’un parlement si improductif. Encore moins d’un premier ministre qui prétend être nouveau dans la twittosphère pour se défendre d’avoir déliré.

ViaKendi Zidor
SourceLe National
A travers un rôle de médiation et d’animation, l’Observatoire du Numérique en Haïti se donne pour mission d’accompagner les différents acteurs afin de préparer la société aux révolutions numériques en étant une plateforme-ressource de soutien aux écosystèmes locaux et d’appui aux processus d’aide à la décision.
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